mercredi 30 novembre 2011

Faut-il séparer l’économique et le politique ?




Le « marché » est le bouc émissaire des crises.
Pourtant, ce n’est pas le marché qui a créé les subprimes. Le système des subprimes a été institué en 1938 par l’Etat fédéral américain, mis sous tutelle du Département du logement en 1992, garanti par un vote du Sénat le 26 juillet 2008, et mis sous contrôle direct du gouvernement fédéral en septembre 2008.
En 2011, ce n’est pas non plus le marché qui génère la crise des dettes. Ce sont les collectivités publiques qui ont dépensé plus que leurs recettes, prétendant que pour améliorer l’économie il fallait prélever de l’argent privé pour faire des dépenses publiques.
Dans ces deux cas, les intrusions du politique dans la sphère économique sont inopportunes si l’on en juge par le résultat.
L’ « indignation » contre Wall Street se trompe donc de cible. Ce n’est pas parce que la crise se manifeste sur les marchés qu’elle est le fruit des mécanismes de marché. Les marchés ne doivent pas pour autant être enveloppés du manteau de l’innocence. Ils ont leurs propres vices.
Voilà pour l’actualité.
Mais si nous prenions un moment pour rechercher dans les racines de l’Histoire ce qui nous mène à la confusion actuelle entre le politique et l’économique ?
Creusons.
Remarquons d’abord que dans les sociétés traditionnelles, la confusion entre le politique et l’économique est inexistante. Dans une société traditionnelle, il y a une séparation entre les fonctions de maintien de l’ordre temporel (police, justice, législation, armée), et les fonctions de commerce :
- En Inde, c’est la distinction entre les « kshatriyas » qui assurent l’ordre temporel, et les « vaishas » qui réalisent les fonctions de commerce.
- Sous l’Ancien Régime, l’ordre temporel et le commerce sont les fonctions respectives de la noblesse et du tiers état.
- En Suède, cette distinction de l’ordre temporel et du commerce était reflétée jusqu’en 1866 dans l’existence de quatre chambres parlementaires, dont deux étaient dévolues à ces deux fonctions respectives. Ce système a duré mille ans.
 - A Bali, cette distinction s’opère entre les « basias » et les « wesias », et demeure en vigueur.

Si la distinction des fonctions d’ordre temporel et de commerce est à ce point universelle, est-ce le seul fruit de la coïncidence ? N’y a-t ’il pas quelque juste principe à y trouver ?
D’ailleurs, on peut aller plus loin : la destruction des structures traditionnelles qui distinguaient les différentes fonctions n’a-t-elle pas pour effet de laisser l’individu seul face à la brutalité des mécanismes quantitatifs du marché ? Les corporations de métiers et les structures familiales n’étaient-elles pas de confortables protections ? Enfin, l’Etat est-il vraiment capable de suppléer à cette dimension qualitative qui a été écrasée par la modernité ?  
Aujourd’hui, l’individu est face à un marché qui génère des effets d’éviction brutale. Le marché se fonde sur la seule valeur quantitative de l’échange, c’est pourquoi il est par nature dans l’incapacité de prendre en compte la dimension qualitative et supérieure de l’être humain.
Par exemple, un employeur préfère embaucher un salarié très productif pendant soixante heures, et laisser au chômage deux autres salariés moins productifs, plutôt que d’employer ces trois salariés pour une durée de vingt heures chacun. Le marché se désintéresse des deux salariés évincés. Il est tangible que par ce mécanisme le marché génère le chômage.
De plus, l’augmentation immodérée des dépenses publiques montre son impuissance à panser les plaies car l’intervention publique telle qu’elle est pratiquée remplace une quantité par une autre quantité.
En revanche, je crois que le politique, à condition qu’il soit placé hiérarchiquement au-dessus du marché, et donc qu’il évite de se fourvoyer dans des interventions quantitatives, a la capacité d’imposer une règle générale en faisant par exemple supporter à l’employeur une cotisation chômage proportionnelle au temps de travail.
Ainsi, dans cet exemple précis, le politique fixe une règle générale pour internaliser le coût du chômage, et le faire rentrer dans les calculs d’équilibres économiques faits par les employeurs.

En matière de finance, un pouvoir politique placé au-dessus des marchés a la capacité d'éviter le gonflement disproportionné de la sphère financière en faisant supporter aux banques un taux directeur proportionnel au rapport entre les fonds propres et les engagements : la banque doit payer le risque qu'elle fait encourir au système.
Dans ces deux exemples, développés par ailleurs dans ce blog, le politique fixe une règle générale et la fait appliquer : l’ordre temporel s’impose à l’économique sans se confondre avec lui.


En pratique, l'application de ce principe contre le chômage est développée ici.
L'application de ce principe contre les excès de la finance est développée ici. 

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